Chronique diluvienne du Tout-Art et le devenir de la forme Salon.

Chronique diluvienne du Tout-Art et le devenir de la forme Salon.

    Mercredi 9 Octobre 2024 (anniversaire de Buñuel), vers 18h45 — le Salon Tout-Art perdit les eaux. On eût cru le destin moins joueur... Apparemment, des adhérents trop malicieux provoquent des grossesses inattendues.
    Au rez-de-chaussée, Philippe Forest conférençait sur le surréalisme et les avant-gardes littéraires, pendant que l’eau inondait notre (sublime) cave en pierre voûtée. De toute évidence — j’emploie ici cette expression détestable, pleine de doutes et de malentendus, pour calmer les éventuelles ardeurs des avocats et des assureurs — à cause des fortes pluies, le trou d’homme de l’immeuble mitoyen a débordé, déversant sur nous des litres d’eau crasseuse et pleine de déchets.
    On a une idée fausse de la sollicitude humaine si l’on a pas vu Iris, Julie et Elisa éponger à la serpillière cette masse lourde et visqueuse quatre heures durant… Genet aurait écrit ici des lignes extraordinaires, faisant de ces trois femmes (trois, comme pour la résurrection du Christ), les méritantes héroïnes d’une tragédie érotique et mystique — mais je n’en ai ni le caractère, ni le talent… Mon talent, c’est d’appeler toujours très vite notre propriétaire (Saint Dorian Simha, bientôt canonisé) et de lui expliquer la situation. Rapidement, il débarque dans la cave et se met à chercher l’origine de la fuite. Il parle vite, de manière saccadée et frappe ses consonnes comme une montée de cymbale : « A(ll)ons (v)oir en (f)ace, il se (p)eut (b)ien que ça (v)ienne de (ch)ez eux ! »
    Quelques hésitations plus tard, nous voilà tous les deux en train d’essayer d’ouvrir la plaque d’égouts du 180 : Simha, patron saint-simonien éclairé, et moi, prolétaire-égoutier improvisé, en cravate et mocassins… Zoink ! L’égout est ouvert. Nous constatons, chers assureurs, le fond du puit épris d’un flot diluvien et torrentiel s’écrasant contre un angle qui donne toutes les raisons rationnelles de croire que c’était de là qu’est partie l’inondation…
    Fan ! Dans les jours qui suivirent, le Salon Tout-Art dut fermer. Nous essayâmes, pauvres diables, de faire valoir notre maigre droit à la réparation de notre gras préjudice. Nous y sommes encore — pour combien de temps ? — à travailler jours et jours pour préparer la réouverture de notre lieu : expertises, devis, échéances, événements, groupes d’études et puis l’exposition Sagazan à monter d’ici le 19 novembre…
    Ah ! La cave inondée, équipe noyée sous le travail. Si notre déluge participe d’un évangile, les voix du seigneur restent impénétrables. Mais je crois que nous jouons, Sartrement, à qui perd gagne en laissant pourrir notre parquet d’autrefois, pour que tout nous soit rendu au centuple. Peut-être que dans une forme de retournement taoïste, le pire se transformera en bien ? Qui sait ce que contient le trou d’homme de la réalité ?
    Un peu avant l’inondation, j’avais moi-même proposé une conférence intitulée « Le phénomène surréaliste : essai de phénoménologie surdéterministe ». Dans la même veine, j’aimerais pour conclure proposer une piste d’interprétation du « phénomène dégât des eaux », phénomène très surdéterminé… Au moment où j’écris ces lignes, je suis seul au Salon. J’ai voulu prendre un moment d’intimité avec lui, pour comprendre ce qu’il lui était arrivé.
    Contrairement aux apparences, le Salon est un être sensible, fragile et hystérique, qui garde la trace de tous les désirs qui l’ont habité et qui les retransforme (alchimiquement) en rencontres, en projets, en idées. Mais c’est également — et ça il ne le dit qu’à ses proches — un être capable de pleurer. Des larmes ! Voilà ce que les plombiers ont appelé un « dégât des eaux ». Ce sont ces pierres en pleurs qui doivent nous renseigner sur son état. Il va mal, il a l’impression de ne pas réaliser ses rêves, sa destinée. Il est jaloux du Cabaret Voltaire qui, à son âge, avait déjà fait de l’art pour les deux prochains siècles. Je l’écoute quand il me dit tout ça, caresse sa pierre, et ne trouve pas d’autre mot de consolation que celui-ci :
    — Patience… Le salut ne vient pas d’ailleurs. Il n’y a plus de sphinx, plus d’énigme. Le temps transparaît. Les morts ne ressuscitent pas. Kafka a confondu le Château avec la Kabbale. Nous ne t’abandonnerons pas. Tu es enceinte. Il ne tient qu’à toi d’engendrer cet enfant. Nous allons résoudre l’équation :
SALON TOUT-ART =  Lieu d’utopie — avant garde organique.
D.G.

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