Paul Gaiardo

Paul Gaiardo

Sous un soleil matinal, la rue du Château commence à s'éveiller lorsque Paul Gaiardo entre dans le Salon Tout-Art. Derrière le comptoir, c'est le bleu hypnotique de son diptyque Mouvement dual qui l'accueille. En regardant ses toiles exposées dans cet espace non-consacré, Paul Gaiardo nous confie avoir l'impression que ce ne sont plus vraiment ses tableaux, mais plutôt ceux du lieu... Portrait d'un artiste qui peint avec un système pour toucher le cœur du monde.

Dans les pas de Bernard Réquichot

S'il a commencé à peindre en 2017, Paul Gaiardo est depuis son enfance un visiteur assidu du centre Georges Pompidou. C'est dans ce musée parisien qu'il découvre l'une de ses principales sources d'inspiration : « depuis mes dix-sept ans, j'avais repéré le travail de Bernard Réquichot, qui n'était alors pas connu comme il l'est aujourd'hui », raconte-t-il. Quand il commence à peindre, il veut donc essayer de « marcher dans les pas » de cet artiste mort très jeune, avec seulement deux expositions à son actif. « Réquichot ne peignait qu'au couteau, donc j'ai commencé à le faire aussi », précise Paul Gaiardo.

Paul Gaiardo, Mouvement dual, 2022, huile sur toiles, 120 x 120 cm, exposé derrière le comptoir du Salon Tout-Art

Il partage cet instrument avec d'autres artistes qui l'ont beaucoup influencé, comme Hantaï, Riopelle et Mitchell, et que l'on a tendance aujourd'hui à regrouper sous la qualification d'« expressionnistes abstraits ». Mais si Paul Gaiardo a choisi le couteau, c'est aussi parce qu'il lui permet de travailler la matière, presque comme en sculpture. « Quand j'étais petit, je suivais des cours de sculpture », se rappelle-t-il, « et le couteau ressemble beaucoup aux outils de sculpture. Pour cette raison, je me sens davantage sculpteur sur les couleurs que véritable peintre ! ».

Peu à peu, sa technique de peintre s'affermit et le format de ses toiles s'accroît. Paul Gaiardo élabore ce qu'il nomme un « système », une manière de travailler qui lui est propre : « je mets ma toile par terre, je prends mes tubes d'acrylique ou d'huile et je travaille sans palette », explique-t-il. « Et je passe mon temps à me baisser et à me relever : c'est un travail très physique ! »

Paul Gaiardo peint Libération, 2020, gouache sur papier, 150 x 300 cm

Peindre avec un système

Lorsque l'on contemple un tableau de Paul Gaiardo, il est difficile d'imaginer qu'il n'est pas seulement peintre, mais également universitaire en droit. Pourtant, ces deux activités n'ont à ses yeux rien de contradictoire : convaincu que le droit détermine la façon dont il voit le monde et y agit, il déclare « faire un mémoire ampliatif » comme il fait un tableau. Il justifie cet apparent paradoxe en ces mots : « le droit mène à un raisonnement très rigoureux, et c'est aussi de cette façon que je peins : avec un système articulé, très rationnel, presque syllogistique ».

Paul Gaiardo, La force voyante II, 2021, Huile sur toile, 120 x 80 cm

Ce système, c'est un système de couleurs, dans lequel le jaune est par exemple systématiquement en haut du tableau. Mais il s'agit aussi d'une technique de peinture : lorsqu'il entame une nouvelle toile, Paul Gaiardo la place au sol, puis il commence par le fond et va du foncé au clair, une technique assez classique chez les artistes-peintres. Il ajoute ensuite du blanc pour que deux blancs cohabitent dans le tableau. Le premier est celui de la toile, qu'il laisse toujours visible. « Car finalement, pour moi, le vrai tableau, c'est le blanc qui ressort derrière la couleur, comme un clin d’œil oxymorique au spectateur », explique Paul Gaiardo. A ce blanc en aplat s'ajoute celui de la peinture en relief, créant une contradiction qui interpelle le regard.

Lorsqu'il parle de son travail de peintre, Paul Gaiardo ne se décrit pas comme un artiste « inspiré », favori des muses ou d'une quelconque divinité. Au contraire : il revendique haut et fort qu'il peint en suivant un système. En effet, il ne croit pas à l'artiste génial, et à ses yeux un « tableau est une œuvre d'artisan avant d'être un ''geste de génie'' ». Cette conviction se fonde sur un constat sociétal : « Nous sommes dans un monde sécularisé où nous cherchons toujours le sacré, mais ailleurs qu'en Dieu », explique-t-il. « Ce sacré, nous le trouvons par exemple dans l'artiste. Or pour moi le sacré est éventuellement dans le tableau, mais pas dans l'artiste ».

Cette conception désacralisée de l'artiste conduit Paul Gaiardo à affirmer qu'une œuvre d'art dépasse toujours le geste de son auteur. Et si ses tableaux ont une vie indépendamment de lui, c'est à ses yeux grâce au système qu'il a employé pour les peindre. « Le risque, quand on crée sans système, c’est d’obtenir une projection de soi-même », affirme-t-il. Selon lui, le recours à un système permet justement de dépasser cet auto-centrisme, de faire en sorte que ses œuvres aillent au-delà de lui.

« Je fais des peintures démocratiques »

S'il désire que ses toiles dépassent sa personne, c'est parce que Paul Gaiardo est convaincu qu'une œuvre d’art doit être avant tout « un dialogue avec autrui, un médium pour aller autre part qu'elle-même ». Et pour atteindre cet objectif, elle doit être accessible : « je fais des peintures démocratiques », affirme-t-il. À ses yeux, une œuvre réussie doit pouvoir se lire à plusieurs niveaux. « Le niveau de base consiste à dire ''c'est joli, je le mettrais bien dans mon salon...'' », précise Paul Gaiardo. « Je n'ai pas du tout honte de dire que mes peintures sont jolies, car c'est justement pour cette raison qu'elles peuvent conduire à un choc esthétique et à des niveaux de lecture plus élevés, consistant par exemple à s'interroger sur l'articulation des couleurs ».

Paul Gaiardo, Esquisse primaire I, 2024, huile sur papier marouflé sur toile, 48 x 36 cm

Si ces œuvres ne sont pas juste « jolies », c'est sans doute en partie grâce à son système : lorsqu'il peint, il entoure sa toile des livres qui occupent une grande place dans sa formation intellectuelle. Les ouvrages d'Edmond Husserl, de Maurice Merleau-Ponty et de Renaud Barbaras l'accompagnent donc quand il peint, et c'est même un ouvrage de ce dernier qui a donné son titre à son tableau nommé Métaphysique du sentiment !

Paul Gaiardo, La rencontre, 2020, Acrylique sur toile libre, 110 x 220 cm, entourée de quelques livres chers à l'artiste

Cependant, un tableau de Paul Gaiardo n'est pas un concept philosophique : il propose au spectateur une expérience sensible qui ne peut se réduire à un discours savant. Préférant « laisser les concepts aux gens qui les pensent vraiment », à l'image de Renaud Barbaras dont il a été l'élève, cet artiste-peintre n'est pas un grand amateur des formes d'art conceptuel les plus extrêmes, comme celles qui consistent à mettre « une pierre ou deux chaises au milieu d'une galerie d'art ». Car, lorsqu'il franchit la porte d'un musée, ce que Paul Gaiardo désire est d'y « voir du beau », et des œuvres capables de lui faire adopter un nouveau rapport au monde.

Et c'est bien du beau que celui qui parcourt le Salon Tout-Art rencontre lorsqu'il contemple les œuvres de Paul Gaiardo. Elles font passer son regard de couleur en couleur, lui offrant un véritable voyage dans le sensible. Si vous souhaitez vivre à votre tour cette expérience, dont les mots ne rendent compte qu'imparfaitement, vous pouvez voir de vos propres yeux les œuvres de Paul Gaiardo au Salon Tout-Art, où elles seront exposées jusqu'au 15 juin 2024.

 

Julie Sarfati, rédactrice et directrice de la programmation au Salon Tout-Art.

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