Sausen Mustafova
Tels des lais délicatement touchés et piqués, les oeuvres de Mustafova dévoilent des peaux qui se mêlent aux tissus, des dessins altérés par le temps. L’aiguille tisse un va-et-vient entre son parcours et celui de chaque spectateur, les fils de couture émergent des tableaux, appelant à une continuation de l'histoire, tandis que les épingles qui les retiennent évoquent leur potentielle évasion, fragilité et impermanence. Les chutes de tissus et toiles de jute, marquées par le temps et le voyage, portent des imperfections qui deviennent empreintes de récits, permettant à l'œuvre de renaître perpétuellement. En transcendant ces fragments usés, Mustafova métamorphose la mémoire en art, incarnant la nature nomade de ses créations, entre disparition et renaissance. Exposant son propre exil, elle crée une œuvre où le spectateur se déplace dans un mouvement de reconstitution du soi.
Effeuillaison
2021, Technique mixte : coton teinture végétale, acrylique, encre sur papier déchiré et suturé, 50 x 70 cm
Effeuillaison
De l’effeuillaison de la peau
Jusqu’à la mélancolie
Jusqu’à la nostalgie de soi
Jusqu’à la solitude
De l’effeuillage des étapes de sa propre vie
Pour aboutir à quoi ?
C’est que je suis en mal de limites
C’est que la frontière n’est jamais une ligne
C’est que la frontière est un espace
Un terrain vague
Toujours dans la frontière
Jamais à la frontière
L’effeuillaison de la peau
Jusqu’à la lie de soi
Là où vie et mort sont intimement mêlées
Là où le sacré prend place en chacun de nous
Là où le désir s’enracine
Transpire dans
Nos veines
Nos regards
Nos respirations
Là où le souffle vient du fond des entrailles de la terre
Là où le souffle naît de la balafre
Que laisse la naissance des rêves et
La perte des illusions
Enfin
Tes bras sont pour moi une frontière
Tes bras disent les limites de ma peau
Tes bras disent la possibilité d’unité
Tes bras disent que l’errance peut cesser
Papiers d'identité
2021-2022, Technique mixte sur papier coton, estampe, collage, 15 x 22 cm
Papiers d’identité
On rentre dans l’obscurité de la vie
Comme dans la fente d’une plaie
Naît le temps
Eclos le sens de l’avant et de l’après
Et en soi se greffe la faille
Et c’est un savoir que toute la chair sait
Et qu’elle tait
La béance
Au-dessus de laquelle se tient en permanence tout être
Ne supporte aucune suture
Inutile de multiplier les coutures
Elle disent seulement l’inimaginable reprise
Se mettre sans cesse à l’ouvrage
Dans le recommencement sans fin
C’est constater l’inenvisageable remmaillage,
Rien ne peut être raccommodé
Inacceptable est l’entreprise de rapiécer
Sans sombrer dans l’indécence
Toute vie est une plaie
On y entre sur la pointe des pieds pour ne pas déchirer d’avantage la fente
Elle s’inscrit dans la peau comme la peau s’enracine dans la terre Et le temps laisse sa trace dans les rides et
dans l’histoire
Tous les chemins mènent chez soi
2022, Technique mixte : papier et jute suturé, 150 x 150 cm
Tous les chemins mènent chez soi
Ou amore mundi
Elle est posée là
Depuis la hauteur d’un instant aussi transparent qu’un rubis
Elle ne peut que se noyer dans les cauchemars
Elle plonge dans un désert noir de cendre jadis tombé depuis des yeux clos
Elle respire des boussoles sanguines oubliées par des larmes sèches
Elle s’oriente aux battements de son coeur dans les labyrinthes enténébrés par des mondes désolés
Elle pose son regard sur une tige de cristal
Et son regard tressaille dans le souffle des étoiles scintillantes sur le sol de sable battu
Pays maltraité
Pays irrigué par tant de désastres oubliés de tous
Catastrophes greffées sur le goût de la datte depuis si longtemps
Et le jus de grenade et devenu le sang d’une blessure pleine de tristesse invisible pour les visages qui rient.
Et puis …
De nouveau,
Elle est posée là
Depuis la hauteur d’un présent aussi dense qu’un saphir
Elle ne peut que embrasser les rêves
Elle plonge dans un désir, jadis semé sur la terre aride d’une langue morte
Elle renaît dès cendres aussi fertiles que les matrices lunaires et sublimes
C’est la source d’un torrent qui dévale les dunes vertes à la conquête de tous les horizons
Les coquelicots posent des points, cartographie terrestre d’une constellation toute nouvelle
Et de manière souterraine se tressent des soleils de tendresse
Dans la douceur de l’albâtre se tissent des
Le temps sans nous
2024, Technique mixte : essentiellement papiers suturé, 130 x 65 cm